Epidémie du Coronavirus « Covid-19 » : Les conditions de l’exploitation de la « Morgue provisoire de RUNGIS » : Droit et polémiques

On sait que face à la forte mortalité en Île-de-France en raison de l'épidémie meurtrière de coronavirus, le préfet de police a réquisitionné, début avril, un hall du marché de gros de Rungis, dans le Val-de-Marne, afin d'accueillir les cercueils des victimes du Covid-19.

La gestion du site a été confiée à l'opérateur funéraire OGF

Une polémique est née mercredi soir, 8 Avril 2020, autour des sommes facturées aux familles des défunts par cet opérateur privé, leader du marché des pompes funèbres en France. Sur RTL, Stéphane LAYANI, Président du Marché de Rungis, a déclaré : « Je suis très, très en colère, je suis ulcéré, écœuré », qualifiant les tarifs pratiqués par cet opérateur funéraire, "de pratiques malfaisantes".

Avant d’aborder le fond du droit, portant à la fois sur la légalité de cette délégation de service public et la régularité des tarifs pratiqués, il parait utile de mettre en exergue la personnalité de ce groupe mondial, qui est considéré comme le leader du marché des pompes funèbres, tant en France qu’à l’international.

Jusqu’au début du XXème siècle, le secteur des pompes funèbres et l’organisation des funérailles, a toujours vu cohabiter, de façon plus ou moins conflictuelle, l’autorité religieuse, détentrice d’un monopole, et la tutelle publique, ainsi que les entrepreneurs privés.

En effet, concurrence et monopole ont été depuis plus de deux siècles, une constante réalité.

Avec le décret-loi du 23 Prairial AN XII, Juillet 1804, l’Etat français avait rendu public l’aménagement et la gestion des cimetières en les confiant aux communes, alors que précédemment aucune véritable organisation publique n’existait, si bien que les cimetières étaient créés et gérés par divers organismes, telles les corporations et les confréries, qui selon le grand sociologue, Philippe ARIES, dans son ouvrage « L’Homme devant la Mort », paru en 1977, étaient des sociétés laïques consacrées aux œuvres de miséricorde, dont les missions les plus significatives étaient d’assurer les prières pour les défunts, notamment les pauvres, d’accompagner le convoi et de procéder à l’inhumation.

Elles surent cohabiter avec l’Eglise qui tenait une place officielle, dès lors qu’elle organisait la « christianisation des pratiques et rites funéraires », qui prit, dès le XVIII° siècle, une position prépondérante en contrôlant le cérémonial social tout en devenant le pivot des funérailles.¹

Avant la promulgation du décret-loi du 23 Prairial AN XII, la force majeure de l’église résidait dans sa qualité de propriétaires des cimetières, donc la maitrise de l’attribution des sépultures dans les églises, option particulièrement recherchée par les personnes fortunées, car le fait d’être enseveli dans les cryptes, donc dans la maison de dieu, garantissait au défunt un traitement privilégié auprès du seigneur, l’accession à la vie éternelle.

¹ Extrait du  rapport final : Les Services Funéraires : du monopole public au marché concurrentiel, de l’Université Pierre Mendès-France, de l’équipe de recherche, Olivier Boissin et Pascale Trompette- Cristo, étude pour la DARES, Ministère des Affaires Sociales, du travail et de la solidarité, octobre 2002.

La période révolutionnaire sera fatale aux corporations et confréries, qui vont perdre leurs privilèges, mais alors que les cimetières étaient entrés dans le droit républicain, dès 1804, le secteur des pompes funèbres sera confié durant toute la période située entre le décret-loi du 23 prairial AN XII et la Loi du 28 Décembre 1904, à titre de monopole aux Fabriques (Associations cultuelles catholiques) et aux consistoires (qu’ils soient israélites ou protestants), et ce, afin de compenser leurs pertes patrimoniales, en raison de la sécularisation de leurs biens par les révolutionnaires. Ainsi, NAPOLEON, par son décret–loi du 23 Prairial An XII va leur confier le monopole des pompes funèbres, (conforté par un second décret du 18 mai 1806), le texte de 1804, étant rédigé en ces termes :

« Les fabriques des églises et les consistoires jouiront seuls du droit de fournir les voitures, tentures, ornements, et de faire généralement toutes les fournitures quelconques nécessaires pour les enterrements, et pour la décence ou la pompe des funérailles ».

Bien que les institutions religieuses prirent en main l’activité funéraires, l’intervention des commerçants du marché de la mort se développa, car la loi avait laissé aux fabriques qui étaient des établissements publics, la possibilité de déléguer (nous emploierons ici le terme contemporain), le droit d’exclusivité, soit à des entrepreneurs, soit à des laïques, confréries ou associations charitables, collectivités, familles, mais aussi et surtout à la commune, sous le contrôle de l’autorité civile.

Ces activités marchandes, excluaient tout l’apparat et l’organisation des cérémonies religieuses, qui demeura de la compétence des institutions religieuses.

Progressivement, le monopole « religieux » dans le secteur des pompes funèbres, fut organisé afin de confier à des intervenants laïques, l’organisation matérielle des obsèques, en la forme de délégations de services ou des sous-traitances, très peu de fabriques optèrent pour une exploitation directe.

Dans un tel contexte, l’Etat et les communes devinrent des acteurs incontournables du monde funéraire, le premier exerçant son pouvoir de réglementation et les secondes, mettant en œuvre le dispositif commercial afférent à ce monopole, en investissant, soit des organismes religieux, (fabriques et consistoires), ou des entrepreneurs faisant commerce des prestations funéraires, en intéressant les associations cultuelles aux bénéfices, à raison d’un partage fondé sur 50% pour chacun.

Cependant un contrôle fut instauré par le décret de 1806, au bénéfice des communes sur les pratiques tarifaires, puisque les taxes et tarifs étaient délibérés par le conseil municipal, puis soumis ensuite, avec l’avis du préfet, et au ministre de l’Intérieur.

C’est aussi, à cette même période, que l’on voit apparaître la référence à la distinction entre « Service Intérieur » et « Service Extérieur » des pompes funèbres qui est demeurée dans le droit positif qui gouverne encore, aujourd’hui, ce domaine, y compris depuis la Loi du 8 Janvier 1993, dite Loi SUEUR, du nom du Sénateur qui l’initia, et qui supprima les monopole que les communes détenaient dans le domaine des pompes funèbres depuis la loi du 28 décembre 1904.

Dans un tel contexte il était inévitable que les fabriques ou consistoires se départissent, peu à peu, de leur rôle d’intervenants et d’organisateurs des obsèques, pour se cantonner à une position lucrative de rentier, en abandonnant à l’autorité municipale les fonctions de la tutelle dans le domaine des pompes funèbres.

Mais, c’est à Paris que l’histoire nous enseigne l’âpreté de ces combats : La compagnie générale des sépultures, initialement dirigée par le sieur LANGLE, plus tard fondateur de l’entreprise Générale des Pompes Funèbres, précurseur des PFG, intervenait initialement comme simple mandataire des familles, intermédiaire entre celles-ci et l’entreprise concessionnaire, tout en ayant une activité de constructeur de caveaux, tombeaux et sarcophages et l’établissement des jardins. Cette compagnie n’eut de cesse que de multiplier les procès afin d’écarter du marché Parisien les adjudicataires en titre (Cf. Rapport DARES, précité).

C’est ainsi que naquit l’entreprise des Pompes Funèbres Générales, fleuron, aujourd’hui de la Holding OMNIUM GENERAL DE FINANCEMENT (OGF).

Cette holding détient un cinquième des parts de marché du secteur funéraire de notre pays, en accumulant un chiffre d’affaire annuel dépassant les 515 millions d’euros, et possède plus d’un millier d’agences, 450 chambres funéraires et quelques cinquante crématoriums.

OGF, a organisé, selon les statistiques connues pour les années 2017 et 2018, 122.000 obsèques (avril 2016 à mars 2017), et s'appuie sur un réseau d'un peu plus de 1.000 agences, sous les enseignes PFG, ROBLOT, BORNIOL, et de nombreuses marques locales acquises à partir du 10 janvier 1996, date de la fin des droits d’exclusivité, (monopole), intervenue pour les entreprises délégataires des communes du service extérieur des pompes funèbres.

OGF gère, en outre, 72 crématoriums en exploitation ou en construction, et l'entreprise et ses filiales emploient 6.400 collaborateurs. Son actif international, s’élève à plus de 10 milliards de dollars.

Entreprise française jusqu’en 1995, propriété de la Lyonnaise des Eaux, au sein de laquelle son Président, Jérôme MONOD, fut l’un des acteurs prépondérants pour développer les délégations de service public par les communes, son capital social est désormais détenu, quasiment intégralement, depuis 2020 par un fonds de pension américain,« Ontario Teacher's Pension Plan »​, aux côtés du management et des salariés. 

Cet exposé liminaire, a permis de mettre en évidence le poids économique dans le secteur des pompes funèbres de la holding OGF, laquelle, grâce à cette position dominante, selon les critères du code de la consommation, a pu obtenir la délégation de l’exploitation temporaire de la « morgue de RUNGIS », certainement trop rapidement qualifiée de chambre funéraire, car, à notre sens, cet entrepôt réfrigéré, ne peut répondre aux prescriptions techniques imposées par les textes réglementaires en vigueur en matière d’aménagement et d’exploitation d’un tel équipement funéraire (Cf. Décret n°99-662 du 28 juillet 1999 établissant les prescriptions techniques applicables aux chambres funéraires, intégrées au CGCT, articles D. 2223-80 à R. 2223-88).

Retrouvez la suite de cet article : Sur les conditions de la délégation de la gestion de cette pseudo-chambre funéraire que les organismes de presse qualifient de Morgue de RUNGIS

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Cet article a été rédigé par Jean-Pierre TRICON.

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