Sur les conditions de l’admission des corps en chambre funéraire : le régime juridique de droit commun

Suite de l'article : Sur les conditions de la délégation de la gestion de cette pseudo-chambre funéraire que les organismes de presse qualifient de Morgue de RUNGIS

En ce domaine, et dans une première partie, (1), nous aborderons la distinction entre les décès survenus au sein d’un établissement de santé publics ou privés, enregistrant en moyenne annuelle au moins 200 décès, qui sont tenus de disposer d’une chambre mortuaire, notion moderne de la morgue hospitalière qui a disparu du vocabulaire du droit funéraire, et ceux survenus dans les établissement de santé publics ou privés, entrant dans la catégorie de ceux qui ne sont pas soumis à l’obligation de posséder une chambre mortuaire (2).

Puis dans un troisième paragraphe, (3), il sera traité des décès survenus dans les établissements sociaux ou médico-sociaux, (qualification contemporaine des maisons de retraite ou EHPAD), voire aux domiciles des défunts.

1) Le cas des décès survenus au sein d’un établissement de santé public ou privé, enregistrant en moyenne annuelle au mois 200 décès : l’existence d’une chambre mortuaire

Ces établissements qui relèvent du Code de la santé publique sont tenus de disposer d’une chambre mortuaire, destinée au dépôt des corps des personnes décédées dans un tel établissement, ou dans une structure qui lui serait rattachée, soit institutionnellement, (telle AP-HP ou générale de santé, par exemples), soit contractuellement, (convention de mise à disposition).

Selon l’Article R. 2223-89 du CGCT, le dépôt et le séjour à la chambre mortuaire d'un établissement de santé public ou privé, (qui relèvent du code de la santé publique), du corps d'une personne qui y est décédée, sont gratuits pendant les trois premiers jours. Au-delà de cette durée, si le conseil d’administration de cet établissement le décide, il peut être fixé une redevance journalière à la charge de la famille du défunt, lorsque le délai de dépôt se prolonge. Il ne s’agit, là, que d’une faculté, mais point d’une obligation.

Il s’ensuit, que lorsque les chambres mortuaires des établissements de santé publics ou privés furent saturées, il appartenait aux directeurs de faire procéder aux transferts des corps en chambre funéraire, étant entendu que les trois premiers jours du séjour et le coût du transport (fourniture d’une housse biodégradable et les frais liés au transport, soit le véhicule et son

équipage), étaient bien à la charge des établissements de santé (hôpitaux publics ou cliniques privées), et ce par assimilation avec les dispositions de l’article R. 2223-89 du CGCT.

2) Le cas des décès survenus au sein d’un établissement de santé public ou privé, n’étant pas tenus de disposer d’une chambre mortuaire

L’Article R. 2213-8-1 du CGCT, dispose : « Le transport avant mise en bière d'une personne décédée vers une chambre funéraire est subordonné :

  1. A la demande écrite : (Alinéa 3ème) : « Du directeur de l'établissement, dans le cas de décès dans un établissement de santé public ou privé qui n'entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire conformément à l'article L. 2223-39, sous la condition qu'il atteste par écrit qu'il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ».

Selon l’article R. 2223-89 du CGCT, précité, la prise en charge des frais, lorsque le transfert du corps en chambre funéraire est sollicité par un directeur d’établissement de santé public ou privé est assurée par l’établissement, dont le transport avant mise en bière, la fourniture de la housse biodégradable, ainsi que les droits de séjour pendant 3 jours.

Le Code général des collectivités territoriales (CGCT), ne comporte pas, sauf le cas du dépassement du délai de trois jours du dépôt du corps en chambre mortuaire, de dispositions financières s’appliquant au cas de dépassement du délai octroyé par les textes législatifs et réglementaires pour effectuer, soit l’inhumation du corps, soit sa crémation, délai de six jours, étant précisé que le dimanche et le ou les jours fériés n’y sont pas compris.

3) Le cas des décès survenus au sein d’un établissement social ou médico-social (appellation contemporaine, des maisons de retraite ou EHPAD)

Là encore, deux cas sont à distinguer :

  1. Soit l’établissement enregistre en moyenne annuelle 200 au moins décès: Il sera tenu de disposer d’une chambre mortuaire, gratuite pendant trois (3) jours et, au-delà, le conseil d’administration pourra le cas échéant instaurer un tarif journalier.

    En cas de saturation de cet équipement mortuaire, le directeur pourra, alors, solliciter le transport du corps en chambre funéraire mais, contrairement à ce qui se pratique pour les établissements de santé publics ou privés, en vertu de l’arrêt rendu le 5 juillet 2017 par la Cour de cassation, les frais y afférents seront à la charge de la famille du défunt.
  2. Mais, si cet établissement social ou médico-social n’est pas tenu à disposer d’une chambre mortuaire, (moins de 200 décès/an), sur la demande écrite du directeur de l'établissement social ou médico-social, public ou privé, et sous la condition qu'il atteste par écrit qu'il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès, l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, il pourra solliciter le transport du corps dans une chambre funéraire.

Mais une différence fondamentale avec les établissements de santé publics ou privés est, ici, à mettre en exergue :

Selon l’arrêt rendu le 5 juillet 2017 par la Cour de cassation, les établissements sociaux ou médico-sociaux, tels les maisons de retraite ou EHPAD, qui disposent de la faculté de solliciter le transport du corps dans une chambre funéraire, (seuils en dessous des 200 décès/an), étant au sens de l’article L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles des établissements qui accueillent les personnes âgées, ne constituent pas un établissement de santé (hôpital ou clinique) ; que, de ce fait, les dispositions de l’article R. 2223-89 du CGCT, ne leur sont pas applicables et, par voie de conséquences, les frais de transports et de séjour dans ces cas, sont assumés par la famille du défunt.

Ces règles de droit sont, donc, de nature, à l’aune de tout ce qui précède, à réguler dans des situations réputées « normales », les flux des décès survenant dans ces établissements. Mais, il est évident que la situation de la crise pandémique due au Covid-19, à laquelle ces structures hospitalières ou sociales sont confrontées depuis plusieurs semaines, ne saurait impacter leurs budgets qui ne sont pas dimensionnés pour faire face à de telles dépenses imprévues, mais aussi exorbitantes.

Il est évident que cette situation constitue, en droit, un véritable cas de force majeure, qui était il y a seulement deux mois, imprévisible. Selon l’Article 1218, du Code civil, « Il y a force majeure en matière contractuelle, lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur », si bien que sur le fondement du décret du 9 mai 1995, portant Règlement National des Pompes Funèbres, (articles L. 2223-20 à L. 2223-22 du CGCT, et R. 2223-24 à R. 2223-55 du CGCT), le Bon de commande qui constitue le contrat de vente des prestations funéraires, pouvait donner lieu à des aménagements, notamment au plan tarifaire.

Et puis, sur le fondement des dispositions afférentes au transport des corps vers ce qui a été qualifié à tort, ainsi que démontré précédemment, de chambre funéraire, alors que le hangar bien que réfrigéré, ne pouvait répondre aux exigences des prescriptions techniques afférentes aux chambres funéraires, il y a lieu de mettre en évidence les conditions dans lesquelles les transports des corps ont été effectués, tout comme la conservation et la présentation des défunts  aux familles, qui ont donné lieu, vraisemblablement, à des mises en bières.

Or, le nouveau Décret n° 2020-352 en date du 27 mars 2020, JORF n° 0076 du 28 mars 2020, texte n° 39, inspiré de l’Avis du HCSP en date du 23 Mars 2020, a instauré de nouvelles règles afférentes aux conditions de transport des corps vers les chambres funéraires, modifiant temporairement le Code général des collectivités territoriales, en raison des contraintes liées à l’épidémie du Covid-19, dont la plupart des dispositions sont éminemment contestables, et ce pour les raisons suivantes :

  1. Sur sa durée d’application : à l’article 1er il est mentionné : « Les règles funéraires sont adaptées conformément aux dispositions des articles 2 à 6 du présent décret jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois, à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée », si bien qu’en

    l’état actuel de la pandémie, ces dispositions auront certainement une durée relativement longue, dont il n’est pas possible d’en fixer son terme.
  2. Sur la dérogation aux dispositions de l'article R. 2213-7 du code général des collectivités territoriales, nous ne porterons aucun jugement sur les mesures qu’il préconise car, effectivement, devant l’accumulation des décès, les formalités administratives relatives au régime des déclarations préalables, ainsi qu’à la délivrance par l’officier d’état civil de l’autorisation de fermeture du cercueil,(anciennement permis d’inhumer supprimé en mai 1976), qui peut être transmise aux opérateurs funéraires par une voie dématérialisée, méritaient un assouplissement, afin d’assurer la fluidité des opérations funéraires.
  3. L’Article 5, étend la transmission par la voie dématérialisée des autorisations d’inhumation, (article R. 2213-31 du CGCT), et celle de crémation, (article R. 2213-34 du CGCT), ce qui n’exonère pas l’opérateur funéraire de les solliciter, et aux maires de continuer d’exercer leurs pouvoirs de police administrative.
  4. Plus grave encore !

Nos critiques porteront sur dispositions figurant à l’Article 6, du décret du 27 mars 2020, à propos du maintien, voire de l’affirmation de la pratique des transports avant mise en bière, qui était déjà confirmée à l’article 2 dudit décret, car selon les Code général des collectivités territoriales, article R. 2213-2-1, issu du décret du 28 janvier 2011, lequel en son article 6, prescrivait :

« Un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), fixe : (NB : Cet arrêté est en fait intervenu tardivement, certes, puisqu’il a été signé le 12 Juillet 2017 pour entrer en vigueur le 1er janvier 2018, mais a fourni, notamment, la liste des infections transmissibles interdisant les transports des corps avant mise en bière, selon les modalités réglementaires énoncées aux alinéas (a), (b) et (d) de l’article R. 2213-2-1 du CGCT, dont notamment le (b), savoir:

[…] « b) La liste des infections transmissibles qui imposent une mise en bière immédiate dans un cercueil simple, répondant aux caractéristiques définies à l’article R.2213-25, et sa fermeture ». Or, l’arrêté en date du 12 Juillet 2017, fournit la liste des infections transmissibles établie en application du (b) de l'article R. 2213-2-1 du Code général des collectivités territoriales, pour les obligations de mises en bière dans un cercueil simple, dont plus particulièrement l’article 3, lequel énonce :

« 3. Toute maladie émergente infectieuse transmissible (syndrome respiratoire aigu sévère…) après avis du Haut Conseil de la santé publique… ».

II. - Le corps des personnes atteintes au moment de leur décès de l'une de ces infections est déposé en cercueil simple, répondant aux caractéristiques définies à l'article R. 2213-25 du Code général des collectivités territoriales, immédiatement après la découverte du décès en cas de décès à domicile ou avant la sortie de l'établissement en cas de décès dans un établissement de santé. Il est procédé sans délai à la fermeture définitive du cercueil ».

Or, en fonction des données cliniques découlant de l’expertise médicale des virologues, infectiologues et médecins réanimateurs, il a été constaté, scientifiquement, que le coronavirus, Covid-19, entraînait de graves affections respiratoires en détruisant les cellules pulmonaires, si bien que les effets et son impact sur la mortalité sont nettement supérieurs à toute infection émergente connue ou subie depuis un siècle.

La mise en bière étant une barrière contre la diffusion de la pandémie, autoriser les transports sans mise en bière constitue, à notre sens, une grave violation des dispositions réglementaires résultant du Décret du 28 Janvier 2011, et de son arrêté d’application du 12 Juillet 2017, alors que le nouveau décret, en date du 27 mars 2020, ne comporte aucune mention dérogatoire envers l’article R. 2213-2-1 du CGCT, (issu du décret n° 2011-121 du 28 janvier 2011).

Dans un tel contexte, il est relativement curieux et étonnant que le Conseil d’Etat, consulté, n’ait pas amendé ou émis des critiques à l’égard de ce décret, même si la situation de crise pourrait faciliter des dérogations, mais en respectant les règles de droit, lesquelles, en l’espèce, sont destinées à protéger la santé publique, puisque dans son Avis en date du 18 février 2020, le Haut Conseil de la Santé Publique  (HCSP), avait clairement évoqué le caractère contagieux des corps des personnes décédées à la suite de l’infection par le Covid-19, par la phénomène d’aérosolisation, (fait de diffuser dans l'atmosphère des particules solides, sous forme d'aérosol).

Cette option de transporter les corps des personnes décédées de l’affection du Covid-19, avant mise en bière est, à notre sens, contraire aux impératifs de protection de la santé publique et bat en brèche les mesures dites « barrières », tant prônées par le ministère de la santé.

D’ailleurs, le premier ministre n’a pas ignoré les conséquences plausibles de la diffusion du virus, véritable « sérial killer », lors des transports des corps et surtout les lieux de dépôt en attente des inhumations ou crémations, puisque l'article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales a été modifié, pour recréer en tant que lieu de dépôt temporaire des corps le « dépositoire », terme qui avait disparu du vocabulaire juridique funéraire, puisque remplacé par la notion de caveau provisoire.

Mais, dans ce décret, il est mentionné que « le dépôt d'un cercueil hermétique dans un dépositoire ne peut excéder six mois. A l'expiration de ce délai, le corps est inhumé. »

Au plan pratique, cette disposition devrait être plus facile à mettre en œuvre par les maires puisqu’il est acté, juridiquement, que les dépositoires sont des équipements situés dans les cimetières communaux ou intercommunaux, et qu’ils appartiennent au domaine public communal, si bien que le maire par l’effet du règlement du cimetière aura la possibilité d’imposer le retrait des corps au-delà de ce délai, puisque le propriétaire de l’équipement est une personne morale de droit public.

Mais, dans un tel cas, l’utilisation d’un cercueil hermétique sera impérativement nécessaire, comme cela est la règle en matière de dépôts temporaires et, de surcroît, cette rédaction est plus réaliste, car elle ne fait obligation que d’inhumer le corps au-delà du délai de 6 mois, puisque l’on sait que les cercueils hermétiques ne sont pas sublimables, ni combustibles, donc que l’option de la crémation du corps doit être écartée.

Au surplus, ces dispositions qui privilégient les transports des corps avant mise en bière, donc des destinations pour lieu de dépôt des corps, les chambres funéraires, sont de nature à

générer la saturation des ces équipements funéraires, comme certaines villes l’avaient vécu lors de la grande canicule de 2003 ?

D’ores et déjà, avec l’ouverture de la « morgue de RUNGIS », la preuve est fournie que les effets ont été permissifs et qu’ils ont donné lieu à de vives critiques, justifiées, tant au plan juridique stricto sensu, que psychologique, puisque les familles se sont élevées contre les tarifications relativement immorales appliquées par le groupe OGF, lequel grâce à cette délégation de service public, accordée en urgence, a pu bénéficier d’une position dominante sur le marché des décès en facilitant la mise en relation des familles des défunts avec l’entreprise délégataire qui est, ainsi qu’énoncé supra, le leader en France, du marché des obsèques, ainsi que des fournitures de marbrerie funéraire.

En droit de la concurrence, la position dominante n’est pas illégale en soi. Par contre, ce qui est prohibé c’est d’en abuser.

Le groupe OGF a pris, semble-t-il, la pleine mesure de ces risques, puisque dans un communiqué de presse en date du 10 avril 2020, et après la position relativement ferme du ministre de l’Intérieur, il a annoncé renoncer à la perception des droits tarifaires qu’il avait mis en œuvre.

Cette affaire pourrait connaître, dans l’avenir, de nouveaux développements, notamment juridictionnels.

Jean-Pierre TRICON

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