Sur la méconnaissance des droits de la défense : Une violation du droit européen

Par arrêt de la Chambre de l’instruction d’Aix-en-Provence en date du 22 octobre 2020, le Cabinet Michel PEZET & Associés a obtenu la mise en liberté de Monsieur C.

M. C, possédant la double nationalité française et brésilienne, a été condamné pour des faits d’homicide commis en 1993 à Sao-Gabriel, Etat de Rio Grande del Sul, République fédérative du Brésil par la chambre criminelle du tribunal de cette même ville, le 20 juillet 2011, à une peine de 16 ans de réclusion criminelle. Un mandat d’arrêt a été délivré contre celui-ci, par le tribunal de Sao-Gabriel, après qu’il soit parti du Brésil. La RFB a sollicité de la France, en application de sa convention d’extradition passée avec elle, l’extradition de M. C. L’intéressé a ensuite été placé sous écrou extraditionnel par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 30 mai 2018.

Sur le problème de l’applicabilité de la Convention d’extradition franco-brésilienne de 1996 à des faits antérieurs à sa date de ratification

Ce dossier a été pris en charge par le cabinet Pezet à un moment où la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait rendu son arrêt d’avis favorable à cette extradition, où un pourvoi en cassation avait été formé contre cet arrêt et où le mémoire ampliatif de demandeur au pourvoi avait déjà été formalisé.

Le cabinet avait alors pensé, à l’analyse des éléments du dossier, qu’il pouvait demander l’annulation de la procédure d’extradition faite au visa de la Convention d’extradition de 1996 ratifiée en 2004 par la France, au motif que les faits reprochés ayant donné lieu à la condamnation de M. C dataient de 1993.

Ne pouvant ajouter ce moyen au mémoire ampliatif de demandeur au pourvoi en cassation, la seule possibilité de présenter cet argumentaire était de le faire à l’appui d’une demande de mise en liberté, laquelle pouvait se faire à tout moment de la procédure, en même temps qu’une demande d’annulation de la dite procédure d’extradition.

La chambre de l’instruction et la Cour de cassation, devaient rejeter ce moyen et cette demande au motif essentiel qu’ils auraient dû être soulevé à l’occasion de l’instruction de l’avis favorable de la chambre de l’instruction et que celui-ci étant devenu définitif depuis l’arrêt de la chambre criminelle ayant rejeté le pourvoi, il n’était plus possible de revenir sur cette question.

Rien n’interdira d’ailleurs à M. C d’invoquer ce moyen et cette demande à l’occasion de son recours éventuel contre le décret d’extradition, devant le Conseil d’Etat, lequel d’ailleurs a, dans une jurisprudence passée où le problème juridique avait été soulevé, montré une tendance à statuer dans le sens de l’inapplicabilité d’une convention d’extradition à des faits antérieurs si certaines conditions étaient réunies.

Du problème de la durée de la privation de liberté et la durée raisonnable d’une procédure d’extradition

Une nouvelle demande de mise en liberté est présentée par Maître Pezet, avocat du requérant, le 25 juin 2020, et a été rejetée par la chambre de l’instruction le 15 juillet 2020, au motif essentiel que l’écrou extraditionnel n’apparaissait pas, aux yeux de la cour d’appel, avoir atteint à ce stade de la procédure une durée excessive.

Le requérant s’est alors pourvu en cassation, en ce que la cour n’avait pas valablement répondu au moyen selon lequel aucune date ne pouvait être envisagée, pour que puisse être pris le décret d’extradition, compte tenu de la situation sanitaire et épidémique très grave du Brésil : cette situation aboutissait incontestablement à une durée déraisonnable de la procédure d’extradition dans sa phase administrative. En outre, des pièces dont se prévalait le Parquet général devant la chambre de l’instruction, n’avaient pas été communiquées à l’avocat du futur extradé ; ce qui constituait une violation du principe du contradictoire.

Par un arrêt du 07 octobre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la chambre de l’instruction, au motif que celle-ci avait méconnu le sens et la portée de l’article 5, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté, ainsi que le principe du contradictoire.

L’affaire a été renvoyée devant une autre chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui devait décider si la demande de mise en liberté de l’intéressé devait prospérer.

Sur le silence de l’administration brésilienne

En l’espèce, l’administration française attend toujours des autorités brésiliennes, une réponse positive à son exigence d’un engagement de celles-ci de garantir à l’intéressé, jugé par défaut, un nouveau procès équitable et contradictoire, à son arrivée au Brésil. Ceci alors qu’il résulte d’une réponse formelle des autorités judiciaires de l’Etat fédéré du Rio Grande del Sul, qu’un jugement rendu par défaut n’est pas susceptible de recours au Brésil. Et que par conséquent, il n’y a aucune possibilité pour M.C d’être rejugé pour les faits qui lui sont reprochés, après son extradition.

A ce jour, aucune décision concernant son extradition n’a été prise par l’autorité administrative. Le requérant était toujours détenu en exécution de cette ordonnance de mise sous écrou extraditionnel.

Sur le droit à un procès équitable

De plus, sur la question de la méconnaissance des droits de la défense, prévus aux articles 5 et 6 de la CESDH, il n’est pas assuré que l’extradable puisse être rejugé contradictoirement et bénéficier de toutes les garanties d’un nouveau procès équitable. Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de s’assurer s’il existe ou non une perspective concrète de parvenir, dans un futur quantifiable et un délai raisonnable, au terme de la procédure d’extradition, que M. C refuse. Et ce, pour se prononcer sur la demande de mise en liberté, en conformité avec la loi et les dispositions susvisées.

D’une infraction aux règles de droit interne et de droit européen

D’une part, l’Etat requis a négligé un examen sérieux des pièces du dossier, n’a pas respecté les délais de sa propre mise en demeure et a laissé perdurer la situation de mise sous écrou extraditionnel. Ce qui est incompatible avec les règles de droit interne et conventions internationales auxquelles il a souscrit. D’autre part, l’Etat requérant a négligé de répondre aux demandes d’assurances, qui lui sont formulées et auxquelles est subordonné l’accord de l’Etat requis pour cette extradition. De ce fait, la demande de mise en liberté ne pourrait être que satisfaite.

D’une violation du délai raisonnable dans lequel doit se circonscrire une procédure d’extradition pour justifier d’une mise sous écrou extraditionnel

Cet arrêt pose surtout la question du respect du délai raisonnable susvisé, par les autorités et les juridictions françaises et brésiliennes. En effet, la durée de privation de liberté imposée à une personne faisant l’objet d’une mesure d’extradition, ne peut excéder le délai raisonnable pour la mener à bien. La mise sous écrou extraditionnel en cause remonte à plus de 28 mois et dépasse ainsi largement le délai admis par la jurisprudence de la CEDH. Il est alors considéré que la durée de la détention est excessive.

Sur l’absence de durée raisonnable de la détention, au regard de la CESDH, le futur extradé doit pouvoir bénéficier, dans le cadre d’une procédure d’extradition, de la protection intégrale de cette convention. En l’espèce, il n’a aucune prise sur la date à laquelle doit être promulgué le décret d’extradition le concernant. L’autorité administrative française n’a aucune raison de retarder la promulgation du décret extraditionnel. Cela a pour conséquence de retarder les possibilités de recours de l’intéressé, et d’allonger une incarcération qui ne se justifie plus.

Du non-respect du principe du contradictoire

Se pose la question du non-respect du contradictoire dans le cadre du Code de procédure pénale, du fait de l’absence de communication de pièces à la défense, par le Parquet général, qui a partiellement motivé la cassation totale de l’arrêt de la chambre de l’instruction du 15 juillet 2020.

Le Code de procédure pénale prévoit que « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties. ».

Entorses aux droits consacrés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

Conformément aux articles 2 et 3 de la CESDH, qui consacrent le droit à la vie et l’interdiction des traitements dégradants, surtout à un moment où, compte tenu de la situation sanitaire épidémique actuelle, l’autorité politique française invite tous ses nationaux à quitter le Brésil et à se rapatrier, le futur extradé ayant tout de même la nationalité française, il serait logique que celui-ci puisse rester en France jusqu’à l’éclaircissement de la situation sanitaire au Brésil.

S’agissant du droit à la vie, consacré à l’article 2 de cette même Convention, il serait inconscient de le renvoyer au Brésil, compte tenu du risque vital que représenterait pour lui sa future incarcération dans l’Etat de destination. Le requérant a droit à une protection, ce qui a été précisé par la CEDH dans une jurisprudence rendue en 1986. Et l’article 3 de ce même texte consacre l’obligation de ne pas exposer une personne à une situation irrémédiable de danger.

Le contrôle du respect des obligations des Etats signataires par les juridictions européennes

Le Cabinet Pezet & Associés pourrait saisir les juridictions européennes pour répondre de la violation des divers droits consacrés par la CESDH, qui ne semblent pas avoir été respectés en l’espèce.

Note rédigée par Madame Lucie SERRIERE
Sous la direction de Maître Gilbert CHELLY.

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