Décision de la cour d’appel de Paris au sujet de Google abusant de sa position dominante envers la presse

Par un arrêt du 8 octobre 2020, la cour d’appel de Paris a rejeté les demandes d’annulation de Google contre la décision de l’Autorité de la concurrence du 9 avril 2020 qui lui avait imposé plusieurs injonctions dont la négociation de bonne foi avec les éditeurs de presse qui feraient la demande de rémunération contre la reprise de contenus selon des critères transparents, objectifs et discriminatoires.

Google doit négocier avec les éditeurs de presse une rémunération

L’Autorité de la concurrence avait considéré que Google avait des pratiques susceptibles de caractériser un abus de position dominante, en ayant imposé aux éditeurs des conditions de transaction inéquitables tout en refusant toute forme de rémunération suivant les modalités prévues par la loi du 24 juillet 2019.

Un droit voisin

L’article 15 de la directive n° 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, a créé un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse en leur conférant le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction, la communication et la mise à disposition de leurs publications.

Le contexte avant la saisine de l’Autorité de la concurrence

Un mois avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2019 transposant la directive, Google avait annoncé qu’il n’afficherait plus d’aperçus de contenus de presse français, sauf si l’éditeur l’autorisait. Il avait toutefois précisé qu’il n’entendait pas rémunérer les éditeurs estimant que ces extraits relevaient de l’article L 211-3-1 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que les ayants droit ne peuvent interdire « l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse. ». Vu la dépendance des éditeurs de presse au moteur de recherche – en France, Google détenait en 2019 93,34 % de parts de marché des services de recherche généraliste –, 87 % d’entre eux avaient accepté que Google affiche leurs contenus, sans contrepartie financière, en l’informant que cette autorisation ne valait pas renonciation de leur part à obtenir une rémunération pour la reprise des contenus protégés. C’est dans ce contexte que des syndicats de presse et l’AFP (Agence France-Presse) ont saisi l’Autorité de la concurrence qui a prononcé, à titre conservatoire, plusieurs injonctions à l’encontre de Google dont le comportement était susceptible de caractériser un abus de position dominante.

La validation de la décision de l’autorité de la concurrence par la cour d’appel de Paris

Sur le moyen de Google tiré de l’absence de pratique anticoncurrentielle, la cour a commencé par confirmer sans surprise qu’avec plus de 90% de parts de marché sur la recherche généraliste en ligne, Google détenait une position dominante.

Puis, elle a validé les mesures conservatoires décidées par l’autorité de régulation en raison de l’existence d’une pratique anticoncurrentielle probable. En effet, le comportement unilatéral et systématique adopté par Google a placé les éditeurs dans une « situation fortement contrainte » faisant peser sur eux un risque de déréférencement. De son côté, Google tire un intérêt économique évident pour l’affichage d’articles, du fait des revenus publicitaires qu’il en tire et de l’attractivité supplémentaire de son moteur de recherche. En privant les éditeurs de la possibilité de négocier une rémunération au moment où la loi reconnaît ce droit est susceptible d’être qualifié « d’abus de position d’exploitation par l’imposition de conditions de transactions inéquitables ».

Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence avait retenu une atteinte grave de nature à affecter la pérennité d’un secteur dans son ensemble et des sociétés saisissantes en particulier et ainsi à compromettre l’offre numérique des consommateurs et des différents acteurs du marché qui la valorise. La cour a estimé que l’autorité avait parfaitement caractérisé l’urgence et le caractère immédiat de l’atteinte. Et elle a approuvé le caractère nécessaire et proportionné des quatre mesures conservatoires ordonnées et soumises à l’examen de la cour.

Concernant l’injonction de négocier de bonne foi, la cour a estimé que les limitations apportées à la liberté contractuelle n’étaient pas disproportionnées compte tenu de l’atteinte portée aux droits voisins du droit d’auteur et du possible abus d’exploitation de position dominante.

Par ailleurs, l’autorité avait imposé le maintien des modalités d’affichage mises en place par la loi, selon les paramètres retenus par les éditeurs, pendant la durée de la négociation. La cour a approuvé cette injonction pour les mêmes raisons que la précédente.

L’autorité avait aussi ordonné que Google prenne des mesures pour que les négociations n’affectent ni l’indexation ni le classement ni la présentation des contenus protégés repris par lui. Sur ce point, la cour d’appel a complété la décision de l’autorité en prévoyant que cette injonction ne doit pas faire obstacle aux améliorations et innovations de Google, sous réserve qu’elles n’entraînent, directement ou indirectement, aucune conséquence préjudiciable aux titulaires de droits voisins par les négociations.

Enfin, la cour approuve le fait que les négociations n’affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs de presse. Selon la cour, même si cette mesure peut l’empêcher de modifier son modèle économique, ces limitations à sa liberté d’entreprendre et à sa liberté contractuelle ne sont pas disproportionnées.

La condamnation

La cour d’appel « rejette les moyens d’annulation » soulevés par Google et condamne l’entreprise américaine aux dépens et à payer une somme de « 20 000 euros chacun » au titre du « droit voisin » aux trois représentants des éditeurs de presse impliqués – l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l’Agence France-Presse (AFP)

Note rédigée par Madame Margaux PAPAZIAN


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